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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 12:40


Alejandro Jodorowsky : J’ai reçu ce témoignage signé par un célèbre chanteur et compositeur français, Arthur H (n. 1966) fils d’un autre célèbre chanteur et compositeur, Jacques Higelin (n. 1940):

« Mon père était un artiste plein de fantaisie, d’histoires, de chansons, bien connecté avec le monde imaginaire de l’enfance. Toutefois, tourmenté par un passé trouble, il se sentait incapable d’assumer une vie de famille relativement équilibrée. La violence de la force centrifuge qui venait de ses profondeurs le poussait chaque fois plus vers des rencontres incessantes, fuyant constamment ce qui pouvait lui donner une sensation d’emprisonnement. L’amour profond qui unissait mes parents a fait que leur séparation fût longue et pénible. Ma mère a progressivement dû se détacher, fatiguée par les excès des éternelles absences et retours, et les promesses non tenues.

C’est à cette époque que j’ai commencé à l’attendre, complètement imprégné de l’angoisse de ma mère, au point d’en faire la mienne. Parfois, mon père, de retour d’une tournée de concerts, apparaissait de manière inattendue, avec un beau cadeau. D’autres fois il annonçait sa présence, en donnant une date et une heure précise, mais ne venait pas ou arrivait avec un retard  insupportable. Je passais de l’excbabalove.jpgitation, et la fierté, à l’inquiétude, à la résignation, à la déception et enfin à l’indifférence mélangée à une angoisse profonde en pensant « Il est peut-être mort et personne ne le sait ». Quand il arrivait enfin, déjà emprisonné d’une espèce de dépression, je n’étais pas capable de supporter l’énergie de mon père, et bien que je sois heureux de le voir, je me sentais vide, incapable d’exprimer mes sentiments. Adulte, bien que réalisé artistiquement, cette tristesse ne cessait de m’envahir. Je vivais dans un état d’attente constante, souhaitant exister aux yeux de mon père, pour pouvoir vraiment exister. Il n’y avait pas différence entre ces sentiments et ceux de ma mère, toujours soucieuse et déçue dans l’attente des apparitions de son amant lunatique et indifférent, qui la préparait inconsciemment à un futur abandon.

Alejandro m’a proposé un acte psychomagique : « Freud s’est trompé : il n’est pas nécessaire de tuer le père (à quoi sert un père mort ?) il faut l’absorber, le faire vivre en soi. Symboliquement, seulement une fois, transformes-toi en ton père ; et puisque tu es musicien, un homme public, convertis-toi en lui devant tes spectateurs, dans un théâtre. L’ayant capturé, tu cesseras de vivre angoissé par l’attente ; tu ne seras plus un enfant souffrant face à un père inaccessible, insurmontable. Tu te déguiseras en lui et, en chantant une de ses chansons, tu diras à ton public :  Je suis Jacques Higelin ! »

Ma première réaction a été le rejet, comme si je n’avais pas le droit de jouer avec quelque chose de sacré. Mais peu à peu cet acte m’a paru libérateur. Quand est arrivé le jour choisi, j’ai suivi au pied de la lettre les instructions d’Alejandro. Avant le terme de mon concert j’ai demandé à mes musiciens de me laisser seul en scène, j’ai sorti une valise que j’avais dissimulée derrière un amplificateur, et je l’ai lancée sur le piano. Elle a fait un grand bruit. Puis, au milieu d’un grand silence, j’ai dit au public :

«  Il y a quelqu’un de dissimulé dans cette valise ! ». Ensuite, en toute franchise, j’ai raconté ma relation avec mon père, ses absences, les attentes et aussi l’amour. Sans cesser de parler je me suis dévêtu jusqu’à être nu devant le regard ébahis des spectateurs. « Je suis ici, nu devant vous, comme au jour de ma naissance ! » J’ai alors ouvert la valise et j’ai commencé à sortir les vêtements de mon père que j’avais pris dans sa maison. « Voici le fameux costume avec lequel mon père se présente sur scène : le grand mamelouk, la ceinture de clous, le veston de velours brodé et les vieilles sandales. » C’était une image très intime, tous riaient et moi aussi. « Maintenant, par un acte de psychomagie je vais me transformer en mon père. » Je me suis habillé avec son costume et j’ai commencé à chanter une de ses chansons les plus connues. Avec respect face à cette situation étrange, dans le public s’est imposé un silence respectueux. J’ai chanté très concentré, avec la sensation à dépasser quelque chose d’interdit. Quand j’ai terminé la chanson, je me suis déshabillé, et j’ai remercié le public d’avoir pris part ce rêve. J’ai commencé à leur lancer la tenue de mon père et ensuite ma tenue de scène, leur faisant ainsi prendre part à la guérison. Puis, nu, j’ai appelé mes musiciens, pour interpréter le numéro final. Pour la première fois je me suis vraiment senti moi-même, ressentant une joie intérieure profonde. Mes collaborateurs se sont aussi réjouis, sentant qu’une énergie de liberté gênait tous.

Aujourd’hui je n’attends rien de mon père, je n’ai pas besoin d’exister devant ses yeux pour exister vraiment, je n’ai pas besoin qu’il m’écoute pour pouvoir m’exprimer. Je sens qu’il y a encore dans mon ventre une certaine rage, mais au lieu de la réprimer et de la retourner contre moi même, je peux la laisser couler, s’exprimer et la transformer pour la rendre fertile, créative, m’accorder l’énergie vitale et me propulser vers le monde et vers les autres. J’ai décidé de pardonner à mes parents, de me libérer et de les libérer de la charge négative du passé et choisir de ne pas voir en ces derniers autre chose que la vie et tout l’amour qu’ils m’ont transmis ».

Extrait de « Manuel de Psychomagie » Alejandro Jodorowsky (Ed. Albin Michel)

Image : Illustration de couverture de « BabaLove », le dernier album d’Arthur H.

 

lien : https://plancreateur.wordpress.com/category/psychomagie/actes-psychomagiques/

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